« L’Eglise : des femmes avec des hommes »

Le dimanche 22 Janvier 2023 a eu lieu la deuxième rencontre-débat “Parlons-en”. Le thème était : “L’Eglise : des femmes avec des hommes”, reprenant le titre d’un livre d’Anne-Marie PELLETIER, même si le texte support de la réunion avait été tiré d’un autre de ses livres, L’Église au féminin. A.-M. Pelletier est agrégée de Lettres modernes, docteur en Sciences des religions, licenciée de théologie, et elle a été nommée membre ordinaire de l’Académie pontificale pour la vie en 2017 pour un mandat de 5 ans.

La rencontre-débat du 22 janvier était organisée par Louis-Marie Chauvet, Mireille Bonafoux et Christiane Marmèche. Elle s’est déroulée en plusieurs temps qui avaient été annoncés sur un flyer :

  • Le point sur l’actualité concernant la place des femmes dans notre Église catholique
  • Quelles questions est-ce que je me pose aujourd’hui à ce sujet ?
  • Lecture de deux pages de L’Église au féminin d’Anne-Marie Pelletier (photocopiées pour tous)
  • Débat à partir de ce texte

Voici le texte support du débat :

(…)  On éprouve à la fois de la gratitude et de l’embarras à considérer l’histoire de l’Église. Il y a en celle-ci beaucoup à célébrer et beaucoup à déplorer. En fait, il y a en elle, finalement, le même mélange, donc, en particulier, la même charge de scandales qui habitent l’histoire dont les Écritures bibliques sont la mémoire : ici et là, l’œuvre de Dieu s’accomplit, mais dans une opacité assumée de l’histoire. Dieu passe, mais il doit frayer son chemin au milieu de tous les embarras d’une humanité qui oscille entre docilité et récalcitrance, fidélité et trahison, bonne volonté et sombres aveuglements. Telle est l’histoire du Premier Testament, ce laboratoire de l’humanité dans sa relation à Dieu. Telle est aussi l’histoire de l’Évangile au long des siècles de l’Église. Nous parlons de « sainte Église ». Le Credo confesse l’Église sainte. Des mots à prononcer avec crainte et tremblement, en n’oubliant pas que cette affirmation — qui exprime la vérité de l’Église – se formule justement comme acte de foi, appel à surmonter le scandale d’un visage de l’Église humilié par le mal qui perdure en son sein. Et qui est suffisamment provocant pour qu’on en oublie de reconnaître les trésors de la sainteté qui accompagnent son histoire. C’est bien là, pour partie, le drame de l’incroyance contemporaine.

Cette situation, en tout cas, rend moins étonnant le statut de la Tradition. Si donc celle-ci a rapport à l’action irrésistible de l’Esprit dans l’Église, qui rend témoignage au Christ « le même, hier, aujourd’hui et à jamais » (He 13, 8), il n’empêche que cette Tradition n’existe pas sans être escortée de multiples « traditions » humaines, reliées au provisoire d’un moment et d’une culture. On ne vise évidemment pas là l’héritage d’expérience spirituelle, de sagesse, de savoir, de fécondité culturelle – cet humus essentiel, qui reste un lieu d’enracinement vital pour la vie chrétienne au moment même où elle doit faire preuve de créativité et d’audace pour être « fidèle à l’avenir » (Y. Congar) autant qu’au passé. On veut parler plutôt de tout un cortège de représentations reçues – avec la pesanteur de mots, d’images traditionnelles, mais aussi de hiérarchies – qui dessinent un ordre ecclésial ayant fini par passer pour naturel, nécessaire, intrinsèque à la foi. Là se loge le préjugé, d’autant plus résistant qu’il sert des intérêts non explicités, dont certains sont clairement ceux du cléricalisme. Là un sacré, qui n’est pas encore passé au feu de l’Évangile, impose silencieusement ses règles et ses tabous.

Cela vaut tout spécialement de ce qu’il est convenu d’appeler « la question des femmes ». Une question qui mobilise, fort heureusement, de plus en plus nos sociétés, et qui concerne la manière dont les femmes y vivent, c’est-à-dire sont vues et traitées. Sur ce point, l’Église catholique, spécialement, apparaît à beaucoup empêtrée de misogynie. Elle renvoie l’image difficile d’un féminin en déficit de reconnaissance, qui reste immobilisé dans des stéréotypes souvent provocateurs, dans une institution massivement masculine, qui tient les femmes à distance de la gouvernance, des charges liturgiques, de la prédication. Cet ordre repose en fait sur un socle de représentations, qui se sont élaborées sur la longue durée d’une histoire complexe et ambiguë, qui a fixé aux uns et aux autres — hommes et femmes — des identités aujourd’hui problématiques, qui a accrédité des conformismes réducteurs, des soumissions pénibles, qui apparaissent présentement sous une lumière crue. (…)

(Ma) démarche comporte forcément une note offensive. Car s’il est acquis que ce qui est explicitement déclaré est susceptible d’être discuté, il n’en va pas de même de l’implicite, cette somme de vérités censément partagées, qui sous-tendent nos discours et nos pratiques. Porter à ce niveau le questionnement, c’est forcément ébranler un consensus, mettre en péril un ordre reçu. Pourtant, c’est bien là qu’il faut se tenir aujourd’hui, si nous voulons éclairer des réalités conflictuelles dans le corps ecclésial, rendre compte de peurs, de résistances troublantes à des évolutions salubres et nécessaires, qu’exigent la vie de l’Eglise et des communautés croyantes, aussi bien qu’un monde ambiant sensible – on ne saurait le déplorer – à la justice entre les sexes. Plus encore, c’est là où il faut se tenir pour affronter le soleil noir de l’horrible scandale des crimes sexuels et des abus d’autorité désormais rendus publics, qui donnent un visage grimaçant de violence et de mensonge à l’Eglise. Détourner la tête de cette indignité qui aura ruiné la vie de beaucoup de personnes, se contenter de propos de piété convenue, se réfugier dans des hauteurs spirituelles que n’atteindraient pas les turpitudes de clercs dévoyés, voilà qui serait redoubler le scandale et confirmer la disqualification de l’Église dans notre société. Il faut donc « aller y voir », faire l’inventaire de préjugés, de constructions fictives qui parasitent nos théologies, de mythologies mystiques qui égarent les esprits. Sans ignorer que les difficultés s’expriment au plus près de la vie ordinaire de l’Église, par exemple, dans l’émoi suscité, au début de l’année 2021, par un motu proprio du Vatican rendant accessibles aux femmes les ministères de lectorat et d’acolytat, autrement dit leur accordant canoniquement le droit de proclamer la parole de Dieu dans la liturgie et d’avoir part au service de l’autel. En réalité, le premier effet de ce texte était tout simplement de mettre fin à l’incongruité que comportait un document précédent, de 1972, qui ouvrait le lectorat et l’acolytat aux laïcs, à la condition qu’ils soient… de sexe masculin. (…)

           (Cet) épisode sert de révélateur à un impensé encore dominant, qu’il faut bien finir par revisiter. Il oblige à questionner une ecclésiologie figée dans un hiératisme hiérarchique et misogyne, ou encore drapée dans une sacralité, qui montre que l’on n’a pas encore entendu le récit évangélique annonçant que le rideau du Temple se déchire à l’heure de la Passion, bouleversant la gestion de l’espace cultuel, en faisant que le Saint des saints cesse d’être un espace réservé. Preuve, au passage, que rien ne vaut l’Évangile pour remettre dans la vérité. (…)

Redisons l’intention de notre propos, qui doit être sa justification : il ne s’agit pas de s’enferrer dans une logique de procès, encore moins de disqualifier la Tradition qui porte jusqu’à nous le trésor de la foi. Mais de travailler, modestement mais résolument, à une libération d’adhérences culturelles problématiques, de préjugés anthropologiques ruineux, qui défigurent le témoignage que le monde chrétien a pour mission de rendre à l’actualité toujours renouvelée de l’Evangile.

Anne-Marie Pelletier, L’Eglise au féminin », Salvator 2021, p. 6-12 (extraits)
This entry was posted in On en a parlé and tagged , . Bookmark the permalink.