Quel rapport entre Ancien et Nouveau Testaments ?

Quand on lit un texte du Nouveau Testament on tombe souvent sur des formules du genre : « ressuscité le 3e jour selon les Écritures » ou « ceci est arrivé pour que soit accomplie l’Écriture », manifestant clairement le lien qui existe entre ce texte et ce que nous appelons l’Ancien Testament (en fait, à l’époque de Jésus les Écritures n’étaient pas exactement notre AT). Le problème est que le rapport des deux Testaments est très difficile à comprendre de façon juste car il fait appel à une structure de pensée qui n’est pas celle de notre Occident. Or depuis le Ve siècle, on considère souvent que la référence à l’Ancien Testament faite par le Nouveau est une sorte de preuve par le moyen de la prophétie, ce qui est conforme à notre structure de pensée mais qui n’est pas juste.

Depuis presque trente ans Christiane Marmèche anime des groupes bibliques, aussi elle va profiter de ce site théÔbonne pour mettre en ligne des repères de lecture biblique qui serviront à son groupe “Ouvrir la Bible” mais peut-être aussi à d’autres !

Comme premier repère elle a choisi ce rapport des deux Testaments car elle constate qu’il est souvent mal compris. Or bien entendre ce rapport modifie notre perception de ce qu’il en est du salut advenu en Christ. Et comme elle le dit quand elle parle de la lecture que fait Paul de ce qu’on appelle le Péché originel, cela permet de ne pas faire d’erreur quand on en parle à autrui.

Quel rapport entre Ancien et Nouveau Testaments ?

Par Christiane Marmèche

Jésus dit : « Je ne suis pas venu pour abolir mais pour accomplir » (Mt 5, 17), donc la structure d’accomplissement est bien quelque chose d’essentiel dans le Nouveau Testament, mais comment la comprendre… et n’y aurait-il pas quand même un certain nombre de choses abolies ?

Avant de répondre à ces questions, voici une petite histoire qui nous mettra dans une certaine structure de pensée.

Un homme va visiter le Paradis. Saint Pierre lui fait visiter tout, et au moment de partir, notre homme aperçoit, à l’entrée du paradis, un magasin.

Il entre, et voit un ange au comptoir. Il lui demande : “Qu’est-ce qu’on peut bien acheter ici ?”

“Tout ce que vous voulez…”

“Ah ? Eh bien ça tombe bien, parce que moi je voudrais la paix dans le monde, je voudrais que tout le monde mange à sa faim, qu’il n’y ait plus de gens qui souffrent, que les chrétiens se réconcilient, que l’Église soit plus accueillante, que…”

“Hep ! Attendez ! dit l’ange. Vous ne m’avez pas laissé finir… Ici, on ne vend pas les fruits, on ne vend que les graines…”

Cette petite histoire nous place dans la structure semence/fruit. Mais pourquoi mettre l’accent sur cette structure ? Parce que c’est celle qu’on trouve dans la Bible où la symbolique végétale est omniprésente. Par exemple dans la parabole de la semence, Jésus nous dit que la Parole est comme une semence dont la croissance va dépendre entre autres de la qualité de la terre dans laquelle elle tombe.

Or, quelle est la structure dans laquelle nous vivons spontanément en Occident ? C’est la structure prévu/réalisé : par exemple un architecte fait les plans d’une maison, et ensuite la maison est réalisée en fonction de ces plans. Là on est dans la symbolique de la construction, un mot qu’on trouve parfois chez saint Paul…

Pour illustrer encore cette différence de structure, voici un exemple qu’on trouve à la fin de l’Apocalypse. L’auteur ne dit pas que Dieu a prévu la Jérusalem nouvelle ; il ne dit pas non plus qu’elle est en train de se construire, il dit qu’elle est en train de venir : elle est et elle vient, elle “descend du ciel” (Ap 21,2).

Il y a donc deux structures différentes : semence/fruit et prévu/réalisé. Pour les deux on peut parler d’accomplissement, mais ça n’a pas du tout le même sens !

Dans la structure semence/fruit ce qui va s’accomplir est déjà présent mais de façon cachée dans la semence, et ce qu’est la graine se découvre seulement grâce au fruit : c’est le fruit qui dévoile et accomplit ce qui était caché dans la semence.

Bien entendu, pour les graines végétales qu’on connaît aujourd’hui, les spécialistes savent discerner ce que c’est au niveau de la graine. Mais pour une graine non connue, il faut attendre qu’elle donne fruit pour découvrir ce qu’elle contient en caché.

Qu’en est-il pour le rapport des deux Testaments ?

Le rapport entre Ancien et Nouveau Testaments est du type semence/fruit (ou caché/dévoilé) comme le dit la formule célèbre de saint Augustin († 430) citée à Vatican II :

« Le Nouveau [Testament] est caché dans l’Ancien, et l’Ancien se dévoile dans le Nouveau » (Saint Augustin, Questions sur l’Heptateuque 2,73)

Le Nouveau Testament lit l’Ancien Testament selon les trois indications suivantes :

  • dans l’Ancien Testament, ce qui est en cause c’est moins l’histoire que le texte,
  • ce texte recèle en caché ce qui concerne le Christ,
  • la mort-résurrection du Christ dévoile ce qui était caché dans le texte.

Mais il faut bien comprendre ce que cela signifie, surtout que les traductions nous poussent à une mauvaise compréhension en restant dans notre logique occidentale où on pense les relations en termes de cause/conséquence ou de moyens pour des fins. Quand on lit : « aucun d’eux ne s’est perdu sinon le fils de perdition pour que soit accomplie l’Écriture » (Jn 17, 12), on a l’impression que l’évangile cherche à prouver qui est le Christ par le moyen de la prophétie C’est entre autres le “pour que” qui nous pousse à cela. Or, le mot grec hina traduit par “pour que” n’a pas toujours de sens causal dans l’évangile, par exemple dans la phrase qui suit le verset cité précédemment : « Ceci est la vie éternelle, hina (afin que) ils te connaissent » (Jn 17, 3), là on ne peut pas traduire hina par “afin que” ; et cette phrase dit : « C’est en ceci que consiste la vie éternelle, qu’ils te connaissent ».[1]

La référence à l’Ancien Testament faite par l’évangile n’est pas à entendre comme une preuve par le moyen de la prophétie, c’est une conception qui n’apparaît qu’au Ve siècle.Or si on est utilise les écrits de l’Ancien Testament comme prophéties de ce qui va arriver, une fois l’avenir réalisé, le Christ venu, l’Ancien Testament a fait son travail, sa fonction a pris fin. C’est ce qui a donné lieu à des théories comme celle de la substitution qui ont eu des retentissements désastreux dans l’histoire. Ce n’est pas la bonne approche. Par exemple, en Matthieu, Jésus dit : « Les scribes et les pharisiens sont assis dans la chaire de Moïse ; faites donc et observez tout ce qu’ils vous disent » (Mt 23,2-3), cela veut dire qu’il faut constamment reprendre les Écritures juives.

Le Christ est donc le retour plus originel de la source biblique… mais que veut dire le mot “origine” puisqu’à première approche il semble se trouver à la fin des temps ? En effet, la mort-résurrection du Christ pleinement accomplie est en quelque sorte à penser du côté de la fin des temps puisqu’elle concerne le Christ dont on sait qu’il est déjà ressuscité, mais elle concerne aussi toute l’humanité en lui qui n’est pas encore totalement ressuscitée. Cependant est-ce si simple ? Non, car comme dit Jean-Baptiste : « Après moi vient un homme qui fut avant moi, car il était premier par rapport à moi » (Jn 1, 30). Autrement dit le Christ vient après parce qu’il était avant ! Il est déjà présent à ce que nous appelons “la création”. Comme on le proclame à la veillée pascale : « Le Christ, hier et aujourd’hui, commencement et fin de toutes choses, Alpha et Oméga… ». Et de fait, les premiers chrétiens lisaient la présence du Christ dès le début de la Genèse. Par exemple pour Tertullien, quand Dieu dit “Fiat lux (Que la lumière soit)” (Gn 1, 3), cela ne donne pas lieu à ce que nous appelons la création, mais c’est le fait que la Parole de Dieu est proférée au-dehors : « “Dieu dit : ‘Fiat lux’, et la lumière fut”, c’est-à-dire le Verbe (la Parole)[2] ». C’est ce que saint Jean dit dès le début de son évangile : « À l’origine était la Parole ». Cette Parole est proférée au dehors, elle est articulée et donc audible, c’est elle qui manifeste et révèle le contenu[3] caché des textes de l’Ancien Testament.

Il faut savoir qu’il y a de nombreuses façons de lire les Écritures chez les Juifs, et c’est la façon dont on se réfère aux Écritures qui détermine l’appartenance à tel ou tel courant du judaïsme… Par exemple au temps de Jésus, Philon d’Alexandrie a une lecture différente de celle des pharisiens. La lecture de la kabbale est une autre lecture qui par certains côtés est proche certaines premières lectures chrétiennes. Mais pour les auteurs du Nouveau Testament, l’élément qui fonde la lecture des Écritures, c’est la mort et la résurrection du Christ ; et la lecture des Écritures n’est pas la même chez tous. Par exemple saint Jean et saint Paul ne lisent pas de la même manière la manne du désert. Pour saint Paul « Nos pères étaient tous sous la nuée… Tous mangèrent la même nourriture spirituelle [la manne] et tous burent le même breuvage spirituel ; car ils buvaient à un rocher spirituel qui les suivait : ce rocher, c’était le Christ… » (1 Co 10,1-6.11), donc la manne est lue par saint Paul comme étant authentiquement spirituelle, alors que chez saint Jean, Jésus dit que les pères n’ont pas mangé le vrai pain venu du ciel, puisque le vrai pain venu du ciel, c’est lui : «Ce n’est pas Moïse qui vous a donné le pain venu du ciel mais c’est mon Père qui vous donne le pain venu du ciel, le véritable, car le pain de Dieu c’est celui qui descend du ciel et qui donne vie au monde… C’est moi qui suis le pain de vie. » (Jn 6, 32-35)

Première illustration à propos de ce qu’on appelle le Péché originel.

C’est donc à partir de l’expérience du Christ ressuscité que des passages de l’Ancien Testament sont lus. Un exemple de cela se trouve dans le chapitre 5 de l’épitre aux Romains. Paul y parle de ce que nous appelons le Péché originel. Paul se pose la question de savoir comment le Christ fait notre salut, comment il réalise l’unité de la multitude déchirée. Et il pose la situation en Adam comme étant le “type” de l’unité christique ; c’est-à-dire que la solidarité en Christ de toute l’humanité est préfigurée par la complicité en Adam de la totalité de l’humanité. Mais il faut voir que c’est lorsqu’il fait l’expérience du Christ ressuscité, lorsqu’il découvre le salut de toute l’humanité dans le Christ, que Paul découvre la situation de toute l’humanité en Adam. C‘est donc le Christ qui éclaire la situation d’Adam et non pas le contraire. C’est la rencontre du salut en Christ qui peut permettre de donner un sens à la notion de péché originel.

C’est d’ailleurs très important de penser ainsi quand on veut parler à quelqu’un du salut qui advient en Christ. Il ne s’agit pas de le pousser à sentir un manque ou lui dire que le Christ vient “réparer” un certain péché originel ! C’est au contraire la rencontre du salut qui lui fera voir rétrospectivement le manque dans lequel est l’humanité depuis Adam. En effet, la situation de l’humanité en Adam asservie au péché n’a de sens qu’en fonction de la grâce et de la vie données à l’humanité en Christ dans la liberté trouvée des enfants de Dieu.

Deuxième illustration à propos du couple de Genèse 2.

Voici maintenant un exemple explicite de lecture rétrospective où ce qui advient en Christ est contenu de façon cachée dans une parole de l’Ancien Testament.

Au chapitre 5 de la lettre aux Éphésiens, Paul cite une phrase de la Genèse : « L’homme quittera son père et sa mère et il s’attachera à sa femme, et ils seront une seule chair » (Gn 2, 24), et il ajoute : « Ce mystère est grand quand je le dis (je l’interprète) du Christ et de l’Église. » (v. 32). Le mot “mystère” est à entendre ici dans le sens où Paul l’utilise, c’est-à-dire ce qui est caché et qui va se dévoiler[4]. Autrement dit, pour Paul, le texte « L’homme quittera… pour être une seule chair », parle de façon cachée du Christ et de l’humanité. Pour lui, le secret qui est contenu dans cette parole de Genèse prend sa dimension d’accomplissement dans le rapport du Christ et de l’Église (le mot Église étant à entendre au grand sens). Et c’est à la lumière de la mort-résurrection du Christ que Paul peut lire dans Gn 2, 24 l’unité nuptiale eschatologique de Dieu et de l’humanité en Christ, la symbolique nuptiale étant déjà assumée dans l’Ancien Testament pour dire la relation de Dieu et de son peuple.

Tout le Nouveau Testament est donc écrit à partir de l’expérience de résurrection, et cette expérience est comme le fruit de quelque chose qui est en secret dans l’Ancien Testament.

Pour finir il est temps d’aborder la deuxième partie de ce qui était annoncé au début : la structure d’accomplissement est essentielle dans le Nouveau Testament, mais n’y aurait-il pas quand même un certain nombre de choses abolies ? En effet, le Nouveau Testament prend quand même distance d’avec un certain nombre de choses de l’Ancien, en particulier il y a toute la réflexion de saint Paul sur la Loi. En fait – pour le dire trop rapidement -, ce que Paul dénonce c’est la lecture de certains Juifs de son époque, ceux qui pensent qu’on est sauvé par les œuvres de la Loi, c’est-à-dire qui lisent l’Écriture comme une loi alors que c’est une parole donnante. Le mot hébreu torah par lequel on désigne les premiers livres de la Bible ne signifie pas “loi”, mais enseignement, éclairement[5]. Et il n’y a pas que les chrétiens qui lisent la torah ainsi.

Post Scriptum

Nous avons distingué la structure semence/fruit et la structure prévu/réalisé. J’ai retrouvé cette distinction à un autre niveau dans un article d’André Fossion dans Lumen vitae. Il y distingue deux types de pastorales (d’encadrement et d’engendrement), et c’est une distinction qu’on trouve chez des théologiens comme Christoph Theobald et Philippe Bacq qui essaient de promouvoir une pastorale d’engendrement.

Une pastorale d’encadrement est une pastorale qui met en œuvre un « plan ». Le plan est élaboré par les responsables et est appliqué sur le terrain. Dans cette pastorale d’encadrement, on définit un ensemble d’objectifs et on planifie les étapes à suivre. Cette pastorale se déroule sous le paradigme de la maîtrise, avec un imaginaire d’entreprise ; on cherche finalement, à partir de ses propres projets et de ses propres forces, à configurer l’Église et le monde à ce qu’on voudrait qu’ils soient.

Une pastorale d’engendrement s’appuie sur d’autres principes. Certes, elle requiert une organisation et un pilotage par les responsables. Mais on parlera ici de « dispositif » plutôt que de « plan ». Contrairement au « plan » qui s’impose d’en haut, le « dispositif » a pour fonction de « rendre possible ». À l’écoute des aspirations, il se met au service, avec compétence et discernement, de ce qui est en train de naître, en acceptant, de ce fait, une certaine déprise et démaîtrise. Dans une pastorale d’engendrement, on n’est pas dans une logique d’entreprise, mais dans une logique d’émergence. Un dispositif ne part pas d’un imaginaire de puissance détenue, mais il cherche à s’appuyer sur les ressources qui se manifestent dans l’environnement. En fait, dans une pastorale d’engendrement, on accepte ce qui est la condition de toute naissance ; premièrement, on n’est pas à l’origine de la vie et de la croissance ; deuxièmement on engendre toujours autre chose que soi-même. Ce qui naît est toujours différent de soi. C’est pourquoi on peut dire que la pastorale d’engendrement s’inscrit dans l’optique évangélique des semailles. Les paraboles évangéliques des semailles [celle du grain de moutarde : Mt 13,31-32 ; celle du bon grain et de l’ivraie : Mt 13,24-30 ; celle du semeur : Mc 4,1-9…]. conviennent bien, à cet égard, pour la figurer. Elles nous disent que l’évangélisation ne s’effectue pas sous le régime d’une production que l’on maîtrise mais d’une émergence que l’on sert et accompagne après avoir semé.

André Fossion, “Annonce et proposition de foi d’aujourd’hui“, Revue Lumen Vitae 2012/3 (Cairn info)

[1] « Tout notre discours est articulé à des effets et des causes, des finalités (afin que), des conditions et des conséquences, toutes choses qui n’existent pas dans la pensée sémitique sous-jacente en général aux textes du Nouveau Testament. Le langage hébraïque qui est très pauvre dans ses modes d’articulation, est traduit de manière approximative par des propositions grecques qui, elles, ont un sens précis et des articulations précises de pensée. Autrement dit, chez saint Jean ce qui est traduit par “afin que”, ne signifie jamais “afin que”, de même le “parce que” ne désigne jamais purement une cause, le “si” n’est pas conditionnel. » (J-M Martin, Syntaxe hébraïque : y a-t-il de la causalité en notre sens ? Conséquences pour la lecture du NT)

[2] Tertulien, Adversus Praxeas XII

[3] Ici il faudrait nuancer car il n’y a pas une seule façon de lire ce contenu, par exemple saint Jean et saint Paul lisent de manière différente ce qui concerne la manne donnée par Dieu lors de l’Exode.

[4] Le terme grec mystèrion est déjà employé dans des textes de la Septante. Dans le livre de Daniel (chap. 2) il désigne le sens caché de la vision du roi Nabuchodonosor, sens que seul Daniel à qui Dieu a donné sa sagesse, saura révéler au roi. Ce mot sera traduit en latin par sacramentum d’où la traduction française de “sacrement” qu’on trouve dans certaines Bibles.

[5] La version grecque de l’Ancien Testament (la Septante) a traduit le mot hébreu torah par le terme grec nomos qui signifie “loi”. Mais le mot hébreu torah vient du verbe yârâh qui signifie : jeter, tirer (au sens de « viser à un objectif ».), et au sens dérivé : enseigner, montrer, indiquer.

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