Le juge inique et la veuve ; à quoi ça sert de prier ?

Qui ne s’est pas posé la question : Prier, ça sert à quoi ? Et pour ceux qui prient il y a aussi la question de savoir s’il est bon de faire des demandes. C’est pour éclairer la question de la prière que Jésus a raconté la parabole de la veuve importune et du juge inique (Luc 18, 1-8), elle figure à la fin de cet article. Louis-Marie Chauvet a commenté cette parabole dans Drôlement Dieu, p. 85-100, voici une sorte de résumé qui donne deux clés permettant d’entendre la parabole, puis qui s’intéresse à la question : Prier, ça sert à quoi ?

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La parabole de la veuve importune et du juge inique, et la prière

Par Louis-Marie Chauvet

« Jésus disait à ses disciples une parabole sur la nécessité de toujours prier sans se décourager. » Cette parabole c’est celle de la veuve importune et du juge inique

● Deux clés de la parabole.

Pour bien comprendre cette parabole, il faut au moins deux clés.

La première clé concerne le genre littéraire des paraboles. Une parabole vise à donner une leçon aux auditeurs. Pour cela, elle oppose deux personnages ou deux figures ou deux situations contraires, en durcissant les traits de chacun des deux pour, comme dans une caricature, mieux faire ressortir ce qui paraît essentiel. Mais, du même coup, la parabole ne s’embarrasse pas de nuance. Elle ne se soucie pas, notamment, de ce que les auditeurs (nous donc) ont un pied dans chacun des deux camps : nous sommes un peu comme la veuve, un peu comme le juge, un peu comme Dieu… Il est donc important de voir que ce qui est important dans la parabole, ce n’est pas la description de chacun des deux personnages pris isolément, mais le rapport d’opposition entre les deux : c’est de là que jaillit la leçon pour nous…

On n’est donc pas étonné de ce que la parabole oppose une “veuve”, symbole de l’être sans défense dans la Bible, et un juge affublé des pires traits : il est sans foi ni loi, il ne craint ni Dieu ni les hommes, et même lorsqu’il finit par céder aux insistances de la plaignante, ce n’est pas par bonté mais par pur égoïsme : que celle-ci ne « vienne plus sans cesse me casser la tête », dit-il… Par ailleurs notre Évangile ne se contente pas d’opposer cette veuve sans défense à un juge qui a tout pouvoir ; il oppose également ce dernier à Dieu qui, à l’inverse, “fait justice” à ceux qui l’en supplient, et qui le fait “sans tarder“, un Dieu qui, est-il dit ailleurs dans le même évangile de Luc, est « bon même pour les ingrats et les méchants » (Lc 6, 35).

La seconde clé de compréhension de notre texte consiste à réaliser que sa pointe ne porte pas sur le comportement de la veuve, mais sur le comportement de Dieu. Ce texte ne nous dit pas comment il faut prier, il nous dit qui est Dieu, et du même coup pourquoi il faut le prier “sans cesse”. Car c’est la révélation du cœur paternel de Dieu qui justifie l’insistance de la prière. C’est insistance change alors complètement de nature par rapport à la prière païenne de l’époque. Les païens aimaient en effet à dire qu’il fallait « fatiguer les dieux » par la prière, en rabâchant des formules et en pensant que ces formules avaient un pouvoir sur eux. À cela, Jésus avait répliqué : « quand vous priez, ne rabâchez pas comme les païens ; ils s’imaginent que c’est à force de paroles qu’ils se feront exaucer ». Un tel rabâchage est inutile, puisque « votre Père sait ce dont vous avez besoin avant que vous le lui demandiez » (Mt 6, 7-8). Voilà qui va à l’essentiel.

  • C’est parce que Dieu est père que, comme tout bon père ou mère humain, il est attentif aux besoins de ses enfants ; il les devine, il les sait à l’avance.
  • C’est aussi parce qu’il est père que, comme tout bon père ou mère humain, il se garde bien de donner à ses enfants, avant que ceux-ci ne le lui demandent, ce dont il sait pourtant qu’ils ont besoin.

Ainsi, la demande est-elle à faire non pour le renseigner, mais pour établir une relation avec lui : une relation filiale de confiance, qui fait que ce qui est donné aux enfants et ce qui est reçu par eux, ce n’est pas seulement l’objet dont ils ont besoin, mais, à travers cet objet, l’amour du papa ou de la maman… Tous les pédagogues savent qu’il ne faut jamais combler un enfant de ce qu’il désire sans lui ouvrir d’abord un espace où va se formuler sa demande… Un objet, cela comble les besoins dès qu’on le possède ; une demande, cela s’adresse à quelqu’un, et on n’en a jamais fini de nouer et de renforcer la relation avec ce quelqu’un. Or l’être humain « ne vit pas seulement de pain », il vit de « parole », c’est-à-dire de relation.

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● Prier, ça sert à quoi ?

Autour de l’an 200, saint Irénée (l’un des “Pères de l’Église” les plus importants), réfléchit à la question : pourquoi Dieu a-t-il prescrit à nos Pères juifs de lui offrir des sacrifices, alors qu’il n’en a nul besoin ? Sa réponse est double, et elle est magnifique :

  1. Ce n’est pas à Dieu que les sacrifices sont utiles, mais à ceux qui les offrent, car en les lui offrant, eux qui sont “ingrats” (en grec : “a-charistiques”) apprennent à devenir gracieux envers lui (en grec : “eucharistiques”).
  2. Irénée ajoute ensuite : pourtant, les sacrifices exercent aussi une certaine influence sur Dieu ; mais ce n’est pas comme les sacrifices des païens, offerts dans un esprit d’esclave où l’on cherche à contraindre les dieux pour leur prendre une part de leurs énergies ; c’est dans un esprit filial ou amical : Dieu se laisse fléchir par nos sacrifices et nos prières « comme un ami se laisse fléchir par un ami ».

Ainsi est Dieu : un père et un ami. Parce qu’il est ainsi, notre prière peut et même doit se faire insistante. Pas pour le renseigner, ni le contraindre, ni lui faire du chantage. Simplement pour établir avec lui une relation vivante. Une relation dont toute la tradition spirituelle a dit, depuis saint Paul, qu’elle procède non d’un « esprit d’esclave qui a encore peur », mais d’un « esprit de fils » (Rm 8, 15). Tout l’essentiel est là : dans la droiture de la relation à Dieu. Moyennant quoi, la prière peut être parfaitement chrétienne, alors que :

  • ou bien, on n’y formule aucune intention : c’est alors la simple présence, même quasi “vide” devant Dieu qui est prière ;
  • ou bien, à l’inverse, elle est faite de demandes même relativement “matérielles” comme l’avenir de tel de nos enfants ou la santé de la grand-mère. Tout est demandable à Dieu, à condition que la demande soit faite avec un cœur filial (ce qui exclut, par exemple, des demandes de vengeance…). Cela, c’est le travail de l’Esprit Saint en nous…

C’est pourquoi, c’est en nous donnant l’Esprit Saint que Dieu exauce nos prières « bien au-delà de nos mérites ou de nos désirs », comme dit Luc après avoir donné le Notre Père : « Si vous, qui êtes mauvais, savez donner de bonnes choses à vos enfants, combien plus le Père céleste donnera-t-il l’Esprit Saint à ceux qui l’en supplient » (Luc 11, 13).

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