La symbolique nuptiale du rapport entre Dieu et l’humanité

Pour la Bible, si Dieu est le Père du peuple, il en est aussi l’époux !!! C’est ce rapport d’époux à épouse qui est présenté ici : comment il apparaît dans l’Ancien Testament et comment le Nouveau Testament le reprend. Ces indications établies par Christiane Marmèche sont liées au “masculin-féminin dans la Bible”, thème choisi pour le Groupe biblique qu’elle anime sur Eaubonne en 2023-2024.

La symbolique nuptiale du rapport entre Dieu et l’humanité

Par Christiane Marmèche

Dans les sociétés, les premiers principes de répartition des choses sont d’abord le père et le fils et ensuite le mâle et la femelle (ou l’époux et l’épouse). Cela se retrouve dans la Bible. Le rapport amoureux y est présent, ne serait-ce que dans Le Cantique des Cantiques qui est un long dialogue amoureux, composé de sept poèmes.

I – DANS L’ANCIEN TESTAMENT

Le rapport de Dieu et de son peuple choisi a été pensé dans la double thématique père / fils et époux / épouse. Dans la deuxième thématique le peuple est considéré comme féminin par rapport à Dieu[1]. En effet, la symbolique du féminin est aussi symbolique des multiples, et même, chez saint Paul, « La femme est la gloire de l’homme » (1Co 11,7), c’est-à-dire l’accomplissement manifesté et plénier de ce qu’il en est d’être homme.

  • Dieu est le Père de son peuple (le peuple est le Fils de Dieu), et ce rapport Père/ Fils n’est pas sexué, c’est-à-dire que ce n’est ni masculin ni féminin.
  • Dieu est également l’Époux de son peuple, de nombreux textes de l’Ancien Testament portent sur ce thème[2].

Les bizarreries qui en résultent si on veut faire un arbre généalogique ou familial des rapports n’ont pas d’importance. Il y a ici la mise en œuvre de quelque chose qui précède les deux premiers deux.

Il est donc question d’un rapport époux/épouse entre Dieu et son peuple. Le problème c’est que si Dieu est fidèle, le peuple, lui, ne l’est pas, il adore d’autres “dieux”, d’où les thèmes de l’adultère et de la prostitution qui sont souvent à entendre comme désignant l’idolâtrie. En effet le peuple a tendance à aller vers les Baal (le mot Baal signifie à la fois maître et mari) et non pas vers son véritable mari qui est le Seigneur, et à ne pas garder l’alliance.

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Voici quelques aspects de cette symbolique.

1) Au VIIIe siècle av. J.-C., dans le Royaume du Nord qu’est Israël (capitale Samarie), le prophète Osée reçoit de Dieu l’ordre étonnant de se marier avec une prostituée ! Cet acte symbolique illustre le rapport qu’a le peuple d’Israël avec Dieu : il adore d’autres dieux et est infidèle par rapport à Dieu. Le prophète met donc sa femme à l’épreuve et, parallèlement, Dieu fait un procès au peuple infidèle comme le ferait un mari à son épouse coupable d’adultère pour la répudier. Israël est rejeté par Dieu et perd sa qualité de peuple de Dieu (Osée 1.6-8 ; 2.4-5), et ceci s’est traduit par le départ en exil. Mais Dieu est prêt à renouer : « Il adviendra en ce jour-là – oracle du Seigneur – que tu m’appelleras : “Mon mari”, et tu ne m’appelleras plus : “Mon Baal”… Je te fiancerai à moi pour toujours ; je te fiancerai dans la justice et le droit, dans la tendresse et la miséricorde ; je te fiancerai à moi dans la fidélité, et tu connaîtras le Seigneur” (Os 2, 18.21-22).

2) Les prophètes Jérémie, Ezéchiel, ainsi que les deuxième et troisième Isaïe utilisent eux aussi le langage nuptial pour parler du rapport entre Dieu et son peuple, et aussi les corolaires que sont l’infidélité, l’adultère et la prostitution. Dieu intervient par des paroles de remontrance mais aussi de tendresse et d’amour. Voici un passage du deuxième Isaïe : « Car ton créateur est ton époux : son nom est YHWH des armées ; et ton rédempteur est le Saint d’Israël, il s’appelle Dieu de toute la terre. Car c’est comme une épouse abandonnée et souffrante de souffle que YHWH t’a appelée. “Répudie-t-on la femme de sa jeunesse ?” a dit ton Dieu. “Pendant un court instant je t’avais abandonnée, mais avec une grande compassion je te rassemblerai ; dans un flot de colère, je t’avais un instant caché ma face, mais avec un amour de toujours j’ai eu compassion de toi”, dit ton rédempteur, YHWH. » (Is 54,5-8).

3) Ézéchiel vit au début du VIe siècle av. J.-C., à l’époque où le royaume de Juda (capitale Jérusalem) est conquis par le roi de Babylone, et l’élite déportée là-bas. Au chapitre 16 Dieu s’adresse à Jérusalem, il la voit baignée dans son sang et la fait vivre, et il lui dit : « Tu grandis, tu devins d’une beauté parfaite ; tes seins se formèrent, ta chevelure se développa. Mais tu étais nue, entièrement nue. Je passai près de toi, je te regardai, et voici, ton temps était là, le temps des amours. J’étendis sur toi le pan de ma robe, je couvris ta nudité, je te jurai fidélité, je fis alliance avec toi, dit le Seigneur, YHWH, et tu fus à moi. »

4) Des prophètes comme Sophonie, Joël, Zacharie, les deuxième et troisième Isaïe s’adressent au peuple comme à une jeune femme qui attend son Sauveur, ils l’appellent “fille de Sion” Sion étant l’une des collines sur lesquelles est bâtie la ville de Jérusalem. En voici un exemple : « “On ne te dira plus : “abandonnée “, et de ta terre, on ne dira plus : “désolée”. Mais on t’appellera : “Mon plaisir est en elle “, et pour ta terre : “épousée”. Car YHW a pris plaisir en toi, et ta terre sera épousée. Comme un jeune homme épouse une vierge, ton bâtisseur t’épousera. Et c’est la joie de l’époux au sujet de l’épouse que ton Dieu éprouvera à ton sujet” […] Dites à la fille de Sion : voici que vient ton salut, voici avec lui sa récompense et devant lui son salaire. On les appellera : “le peuple saint”, “les rachetés de YHWH”. Quant à toi, on t’appellera : “recherchée “, “ville non abandonnée “ (Is 62, 4-5 et 11-12).,

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II – DANS LE NOUVEAU TESTAMENT

1) La thématique époux/épouse est reprise dans le Nouveau Testament :

– Il y a des paraboles sur le thème des noces, et surtout, en plusieurs endroits, Jésus est dit être l’époux (Matthieu 9,15 ; 25,1-13 ; Jean 3,29).

– Aux Noces de Cana (Jean 2), l’époux n’est pas nommé, mais si on lit le texte dans sa grande dimension, il est clair que cet époux est Jésus.

– Certaines rencontres de Jésus avec des femmes (la Samaritaine en Jean 4, Marie-Madeleine au tombeau en Jean 20…) sont des rencontres qu’on peut qualifier de nuptiales.

– Le thème de l’adultère lui-même est à entendre à la suite de l’Ancien Testament, non comme adultère bourgeois, mais comme idolâtrie. Bien sûr nous n’adorons plus des faux dieux comme les Baals, mais l’argent par exemple est pour nous souvent une idole. Par exemple, le récit de la femme adultère (Jean 8,2-11) est à entendre dans sa grande dimension, la femme représentant toute l’humanité infidèle par rapport à Dieu. Et quand Jésus se penche deux fois vers le sol, cela reprend l’épisode des tables de la Loi lors de l’Exode, Moïse ayant détruit les premières tables quand il a découvert le peuple adorant le veau d’or[3].

– Dans l’Apocalypse il est question des noces de l’Agneau, et depuis peu, l’expression d’Ap 19, 9 est proclamée à la messe dans le nouvel invitatoire à la communion : « Voici l’Agneau de Dieu qui enlève les péchés du monde. Heureux les invités au repas des noces de l’Agneau. ». La messe célèbre donc les noces du Christ avec l’humanité convoquée…

2) Le thème de la “fille de Sion” (ou de Jérusalem) se retrouve en plusieurs endroits, par exemple :

  • Une citation explicite figure lors de l’entrée de Jésus à Jérusalem pour les Rameaux : « Jésus trouva un ânon, et s’assit dessus, selon ce qui est écrit : “Ne crains point, fille de Sion ; Voici, ton roi vient, assis sur le petit d’une ânesse”. » (Jn 12, 14-15)
  • Le récit de l’Annonciation (Luc 1,28-33) reprend trois prophéties concernant la “fille du Sion” : Sophonie 3,14-17 ; Joël 2,21-27 et Zacharie 2,14-15 ; 9,9-10[4]
  • Tout à la fin de l’Apocalypse de saint Jean, donc à la fin de la Bible, il est question de la Jérusalem céleste qui descend du ciel comme épouse de l’Agneau, donc épouse du Christ.

3) Dans l’épître aux Éphésiens, saint Paul parle du rapport Christ/ Ekklêsia comme d’un rapport époux/épouse, l’Ekklêsia ne désignant pas ici ce que nous appelons aujourd’hui l’Église même si les traductions utilisent le mot “Église. En effet l’Ekklêsia est pensée dans la suite du qahal hébraïque, l’assemblée convoquée du désert. Et l’Ekklêsia est la convocation unifiante de la totalité de l’humanité, le mot ekklêsia signifiant d’ailleurs “convocation” : ek-klêsisklêsis signifie “appel” ; ici appel commun.

« Vous les hommes, aimez vos femmes selon que le Christ a aimé l’Ekklêsia et s’est livré lui-même pour elle, afin de la sanctifier par la parole, après l’avoir purifiée par le baptême d’eau, afin de faire paraître devant lui cette Ekklêsia glorieuse, sans tache, ni ride, ni rien de semblable, mais sainte et irrépréhensible. (…) Pour cela l’homme quittera son père et sa mère et s’accolera à sa femme et ils seront deux pour être une seule chair. Ce “mystère” est grand – le sens secret (caché) de cette parole de l’Ancien Testament prend sa grande dimension – quand je le dis du Christ et de l’Ekklêsia – c’est-à-dire du Christ et de l’humanité convoquée. » (Ep 5, 25-33).

Dans ce texte, la référence c’est la relation nuptiale entre le Christ et l’Ekklêsia. Le texte ne dit pas : « Voyez comme c’est bien le mariage ici-bas, ça vous donne une idée de ce qu’est le rapport du Christ et de l’humanité ». C’est l’inverse, heureusement peut-être d’ailleurs ! En effet, ce qui peut éclairer notre vie de couple, c’est le secret qui se dévoile dans l’action du Christ par rapport à l’Ekklêsia. En quelque sorte c’est cette relation insue qui éclaire ce que nous croyions savoir.

4) Dans les premiers siècles, les Noces du Christ et de l’Église (au grand sens du terme) étaient célébrées à l’Épiphanie. En effet, la fête de l’Épiphanie a précédé la fête de Noël (qui n’est apparue qu’au IVe siècle). Or lors de la fête de l’Épiphanie, la liturgie regroupait trois fêtes : le Baptême du Christ qui est le lieu initial de sa manifestation pour les évangiles ; la visite des mages venus d’Orient avec leurs présents ; et les Noces de Cana. Ensuite, pour des raisons historiques, ce qui a pris le plus d’importance dans l’Épiphanie, c’est le voyage des mages ; mais même maintenant, dans la liturgie, après le dimanche de l’Épiphanie c’est le dimanche du Baptême du Christ et ensuite les Noces de Cana.

Voici l’antienne de la fête de l’Épiphanie qui relie ces trois fêtes :

« Aujourd’hui l’Église est unie au céleste Époux car dans le Jourdain le Christ en a lavé les péchés ; les mages accourent aux noces royales avec leurs présents, et l’eau changée en vin réjouit les convives. »


[1] Tout humain, qu’il soit homme ou femme, est donc considéré comme féminin par rapport à Dieu On retrouve d’ailleurs cela chez des grands mystiques comme Jean de la Croix (1542-1591) qui parlent d’eux au féminin. Il a par exemple nommé “Chant de l’Épouse” le poème dont il composa un commentaire en prose.

[2] Il y a un petit texte du IIe siècle intitulé L’Exégèse de l’âme, qui rassemble ces textes et les médite (citations de Jérémie, d’Osée, d’Ézéchiel et aussi de saint Paul et même d’Homère) ; c’est très légèrement gnosticisant mais cela fait encore partie de la grande Église. Voir “L’Exégèse de l’âme”, les figures féminines en st Jean..

[3] Cf. le petit livre de Marie-Hélène Dechalotte, L’homme de Béthesda, Ed. Médiaspaul 2017, p. 45-50.

[4] Le Concile Vatican II appelle Marie “Fille de Sion par excellence” (Lumen gentium 55) et Jean-Paul II avait fait une catéchèse sur ce thème : « La Fille de Sion » 1996

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