De la faute au péché

L’Église a toujours fait la différence entre “faute” et “péché”… et cette différence est vraiment une “bonne nouvelle” comme le montre cet article qui reprend une interview de Louis-Marie Chauvet réalisée par le journal “Les Nouvelles religieuses d’Eaubonne” en 2000.

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« CONTRE TOI, ET TOI SEUL J’AI PÉCHÉ…» (Ps 50)[1]

DE LA FAUTE AU PÉCHÉ

par Louis-Marie Chauvet

► À la suite de l’auteur du psaume 50 (51), l’Église a toujours fait la différence entre “faute” et “péché”. Une telle différence mérite d’être rappelée parce qu’elle est “Bonne Nouvelle”. En quoi donc ?

L-M Chauvet : La “faute” est une notion morale. Peut être qualifié de faute morale (1) tout acte par lequel (2) en nous repliant sur nous-mêmes, (3) nous portons atteinte à l’humanité d’autrui et ainsi, (4) à notre propre humanité.

Précisons ces quatre éléments.

(1) L’acte peut être évidemment aussi bien une pensée ou un désir (de vengeance par exemple), voire une abstention (on laisse faire) qu’une action comme telle. Il s’agit donc du mal que nous pouvons faire comme disait fort justement l’ancienne version du Je confesse à Dieu, « par pensée, par parole, par action ou par omission ».

(2) Un tel acte procède du repli ou de la recourbure sur soi-même. La faute est toujours liée de quelque manière au désir de se mettre soi-même au centre.

(3) Le critère majeur de la faute morale, c’est la blessure faite à autrui dans son humanité même, soit de manière violente, soit, ce qui est sans doute le cas le plus fréquent, de manière plus subtile : parce que je veux être au centre, je cherche à diminuer les autres, à les rabaisser ; ainsi je les empêche de vivre, ou du moins de grandir et de développer les possibilités qu’ils portent en eux.

(4) Or, en portant atteinte à l’humanité d’autrui, je porte également atteinte à ma propre humanité. Égoïstement replié sur moi-même, je m’asphyxie peu à peu. Je ne peux grandir en humanité qu’en cherchant à faire grandir autrui. Telle est la loi humaine fondamentale : on ne devient riche en être que de ce que l’on donne. Le célèbre « c’est en donnant qu’on reçoit » de la prière de saint François d’Assise[2] ne vaut pas seulement sur le plan chrétien, mais bien d’abord pour tout être humain.

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► La notion morale de “faute” est donc quelque chose d’important.

L-M Chauvet : Celle de “péché” n’en est pas moins différente. Différente non pas quant à son contenu matériel, mais quant à l’angle de vue sous lequel on la regarde. En effet, le contenu ou la matière du péché est le même que celui de la faute morale. À cet égard, les quatre éléments dont on vient de parler valent également pour le péché. En revanche, un cinquième élément différencie le péché de la faute. Il tient à la perspective : la faute contre l’homme est comprise comme péché contre Dieu.

Reconnaître la faute comme péché, c’est reconnaître, dans la foi, que porter atteinte à l’humanité d’autrui et, ainsi, à notre propre humanité, c’est porter atteinte à Dieu lui-même. « Qui donc est Dieu qu’on peut si fort blesser en blessant l’homme ? », chantons-nous parfois à l’église. Le péché n’est pas simplement une notion morale, mais bien théologale : on ne peut le reconnaître, en définitive, que devant Dieu.

Or une telle reconnaissance est “bonne nouvelle”. Pourquoi donc ? Parce que le Dieu devant lequel nous reconnaissons notre péché s’est révélé en Jésus comme un Dieu de grâce et de miséricorde. Voilà qui retourne la situation !

Comme dans la parabole du fils prodigue (Luc 15), c’est devant l’amour du père que nous découvrons notre péché ; un amour qui se manifeste, dans le texte de la parabole, avec une étonnante force puisque tout y est au superlatif, tout y indique le dynamisme débordant de l’amour : le père court au-devant de son fils, au lieu de l’attendre ; il le couvre de baisers, lui rend l’anneau de fils, fait tuer le veau le plus beau, etc.

C’est le “par-don” en tant qu’amour qui déborde “par-delà le don”, qui révèle le péché ! C’est pourquoi, comme il est dit dans le Credo, l’Église croit non pas au péché comme tel, mais au “pardon des péchés”. Telle est la raison pour laquelle saint Augustin disait déjà que la confession des péchés ne peut se faire que si elle est d’abord confession de louange (confessio peccati, confessio laudis) : louange envers ce Dieu qui nous révèle notre péché dans le moment même où il manifeste son amour en nous offrant son pardon.

C’est la même raison qui a poussé l’Église à chanter au début de la vigile pascale, cette parole pourtant très ambigüe : « O felix culpa ! O bienheureuse faute ! » Non que le péché en lui-même soit une chose heureuse. Ce qui est heureux, c’est l’expérience qu’il nous permet de vivre : celle de la miséricorde de Dieu qui nous conduit à chanter sa louange et à devenir nous-mêmes des “pardonneurs”.

Tout cela, disions-nous, retourne la situation ! De fait, non seulement le péché n’est véritablement révélé que comme écarté, pardonné ou destiné à l’être, mais tout le reste change de signe en quelque sorte :

  • Le remords se transforme en repentir. Parce qu’il est lié au dépit d’avoir terni la belle image que nous nous étions faite de nous-mêmes, le remords nous replie sur nous-mêmes et peut déboucher sur le désespoir : on ne se pardonne pas d’avoir failli (cf. Judas). Le repentir, lui, nous ouvre sur Dieu, un Dieu « riche en miséricorde » : il brise alors le cercle de la culpabilité, il ouvre un avenir (cf. Pierre).
  • La confession des péchés s’adresse toujours à Dieu même lorsqu’elle passe par le prêtre ; elle ne saurait donc prendre la forme d’une “liste” de péchés comme si Dieu avait besoin d’être renseigné. Elle prend au contraire la forme d’une prière humble et confiante. Cela lui donne évidemment une tout autre allure !

Tout cela est Bonne Nouvelle, car il nous est révélé par là que, avant que nous ne mettions notre foi en Dieu, Dieu a déjà mis sa foi en nous. En dépit de tout ! En offrant son pardon « soixante-dix fois sept fois[3] », il manifeste qu’il ne cesse jamais de nous faire foi, de nous redonner sa confiance.

L’important pour Dieu n’est pas ce que nous avons été, mais ce que nous pouvons être : il croit toujours en nous, alors même que nous n’aurions plus foi en nous-mêmes !


[1] Psaume 50 (51) : « Pitié pour moi, mon Dieu, dans ton amour / Selon ta grande miséricorde, efface mon péché. / Lave-moi tout entier de ma faute, / Purifie-moi de mon offense. –/- Oui, je connais mon péché / Ma faute est toujours devant moi. / Contre toi, et toi seul, j’ai péché, / Ce qui est mal à tes yeux, je l’ai fait… »

[2] Cf. https://eglise.catholique.fr/approfondir-sa-foi/prier/prieres/372202-priere-de-saint-francois-dassise/

[3] Cf. Matthieu 18.21-22.

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